L’Indonésie était l’invitée d’honneur au défilé du 14 Juillet de cette
année. Le président Emmanuel Macron avait officiellement invité son
homologue Prabowo Subianto lors de sa visite officielle en Indonésie du
27 au 29 mai 2025. Il avait également invité l’armée indonésienne à
participer au défilé. C’est ainsi que les cadets de l’école militaire
indonésienne et des soldats des trois armes (terre, mer et air) ont,
pour la toute première fois, défilé sur les Champs Elysées. L’occasion
nous est offerte d’un bref retour sur l’histoire de l’armée
indonésienne. Voici la deuxième partie d’un article dont la première
partie avait été diffusée le 18 juillet dernier.
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ».
Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de
formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans
expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe
indonésien Medco.
publié par Association France Timor Leste @ 6:08 AM,
De la haine à l’amitié : Timor-Leste et l’Indonésie, l’impossible oubli
Vingt-cinq
ans après la fin de l’occupation indonésienne, Timor-Leste et
l’Indonésie surprennent par leur réconciliation : les anciens rivaux
Luhut Panjaitan et Xanana Gusmão s’affichent désormais en frères
d’armes. Pourtant, crimes impunis, réfugiés encore dispersés et silences
religieux rappellent que la justice reste inachevée.
Collaborateur
de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur
indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
De la haine à l’amitié : Timor-Leste et l’Indonésie, l’impossible oubli
Paradoxal.
Voilà le mot qui résume peut-être le mieux la relation actuelle entre
l’Indonésie et son ancien territoire occupé, le Timor-Leste. Vingt-cinq
ans après l’indépendance arrachée dans la douleur, le dialogue s’est
tissé, la coopération avance, et les anciens ennemis d’hier posent
ensemble pour les caméras. Mais dans l’ombre des sourires diplomatiques,
la justice attend encore son heure.
L’occupation : des cendres encore chaudes
Entre
1975 et 1999, le Timor-Leste, ancienne colonie portugaise, fut plongé
dans un cauchemar sous la botte de l’armée indonésienne. L’invasion de
décembre 1975, justifiée alors comme une annexion anti-communiste, a
laissé un pays exsangue. Exécutions sommaires, viols, disparitions
forcées, famine : entre 183 000 et 200 000 Timorais ont péri durant
l’occupation indonésienne, selon le Chega! Report — soit plus d’un quart
de la population de l’époque.
Les commandants comme Luhut Binsar
Pandjaitan – aujourd’hui figure influente du gouvernement indonésien –
furent alors des artisans du contrôle militaire. Face à eux, Xanana
Gusmão, chef de la résistance timoraise, devint l’icône d’un peuple
enchaîné mais jamais brisé.
De la guerre à l’étreinte diplomatique
Et
pourtant. L’histoire parfois invente des retournements que la fiction
n’oserait pas. Aujourd’hui, Luhut et Xanana se donnent l’accolade, rient
ensemble, posent côte à côte dans des sommets régionaux. Les deux
"guerriers", ennemis de jadis, sont devenus les architectes d’un nouveau
pont entre leurs nations.
L’Indonésie a soutenu la candidature du
Timor-Leste à l’ASEAN, saluant son intégration progressive comme membre
observateur. Elle participe aussi à la reconstruction économique du
petit pays, notamment par le biais d’infrastructures, d’échanges
commerciaux et d’investissements dans l’énergie.
Mais la justice ?
Les
plaies, elles, ne se ferment pas toutes. Des milliers de réfugiés
timorais, notamment installés au Timor occidental, n’ont jamais pu
rentrer. D’autres craignent encore les représailles ou vivent dans des
conditions précaires.
Les responsables des crimes de guerre n’ont
jamais été jugés en Indonésie. La justice transitionnelle, promise à
l’aube de l’indépendance, est restée lettre morte de l’autre côté de la
frontière. Jakarta invoque la réconciliation, mais sans reconnaissance
pleine ni demande officielle de pardon.
L’Église : silence pesant et foi partagée
Le
9 septembre 2025, le pape François célèbre une messe historique à Dili,
capitale du Timor-Leste. Des dizaines de milliers de fidèles affluent,
certains venus même d’Indonésie. Des prêtres javanais, des familles de
Flores et d’Ambon se recueillent aux côtés des survivants de Suai et des
collines de Same. La communion est réelle, bouleversante.
C’est
un moment rare où, comme après le génocide au Rwanda, les anciens
ennemis prient ensemble. Un "instant Hutu-Tutsi" au parfum d’espoir.
Mais
une ombre plane encore : malgré les appels persistants de Mgr Carlos
Ximenes Belo, alors évêque de Dili, l’Église catholique d’Indonésie —
longtemps silencieuse durant les années sombres de l’occupation — n’a
jamais exprimé officiellement de regret. Certains évêques, aujourd’hui
retraités, furent complices par leur silence ou leur proximité avec le
pouvoir militaire. Cette mémoire ecclésiale, au nom de la vérité, mérite
d’être confrontée.
Un héritage linguistique inattendu
Paradoxe
encore : les jeunes Timorais d’aujourd’hui parlent plus volontiers
indonésien qu’au temps de l’occupation. Le portugais, langue officielle,
reste confiné aux élites. Les dramas, les chansons dangdut, les
influenceurs TikTok indonésiens ont conquis Dili.
Loin d’effacer
les blessures, cette proximité culturelle reflète un phénomène inattendu
: l’Indonésie, qui fut jadis la langue de l’oppresseur, devient
maintenant celle du divertissement… et parfois du lien.
Entre mémoire et avenir
Le
Timor-Leste et l’Indonésie incarnent une relation unique en Asie du
Sud-Est : construite sur le sang, traversée par le pardon, mais encore
inachevée.
La réconciliation sans justice reste un édifice
fragile. Mais si l’on peut prier ensemble, parler la même langue, et
bâtir sans oublier, peut-être un jour viendra où le passé ne fera plus
peur.
publié par Association France Timor Leste @ 6:44 AM,
Le Timor-Leste, indépendant depuis le 20 mai 2002, est un petit
État d’Asie du Sud-Est souvent méconnu. Situé entre l’Indonésie et
l’Australie, ce pays de 1,3 million d’habitants a surmonté un passé
marqué par la colonisation portugaise, l’occupation indonésienne et une
lutte acharnée pour la liberté. Pourtant, loin de se limiter à son
histoire, le Timor-Leste s’impose comme un acteur stratégique dans
l’Indopacifique, grâce à sa position géographique et à une diplomatie
audacieuse. Sa proximité avec le détroit d’Ombai-Wetar et ses efforts
pour diversifier une économie encore dépendante du pétrole en font un
point d’intérêt pour les grandes puissances. Voici une analyse de sa
stratégie et de ses défis.
Une économie en quête de diversification
L’économie
du Timor-Leste repose encore largement sur les revenus pétroliers, bien
que le pays cherche à diversifier ses ressources. Les champs offshore,
comme Bayu-Undan, ont longtemps été le moteur économique : en 2020, les
revenus pétroliers représentaient la majorité des recettes
gouvernementales. La production de Bayu-Undan s’est arrêtée en 2023,
mais le Fonds pétrolier, alimenté par ces revenus passés, reste crucial
pour financer les dépenses publiques. Le projet Greater Sunrise, en
négociation avec l’Australie, pourrait relancer le secteur, mais les
discussions traînent.
Malgré des efforts pour développer d’autres
secteurs, comme l’agriculture ou le tourisme, la diversification
économique est freinée par des infrastructures limitées, une
main-d’œuvre peu qualifiée et une forte dépendance aux importations. Le
port de Tibar, opérationnel depuis septembre 2022, illustre cette
ambition de diversification. Financé par un partenariat public-privé,
notamment avec le groupe Bolloré et construit par China Harbour
Engineering Company, ce hub vise à positionner le Timor-Leste comme un
carrefour commercial régional. Cependant, le pays reste tributaire de
l’aide internationale, reflétant la difficulté de réduire sa dépendance
pétrolière.
Une neutralité stratégique sous tension
Pour
naviguer dans cet environnement complexe, le Timor-Leste mise sur une
diplomatie de neutralité, inspirée de l’Indonésie et de sa doctrine «
Bebas-Aktif » (libre et active) post-1945. Entouré de puissances comme
la Chine, l’Australie, les États-Unis et le Japon, Dili adopte une
approche pragmatique : accepter l’aide d’où qu’elle vienne, sans
s’aligner. En septembre 2023, un partenariat stratégique global avec la
Chine ouvre la voie à des investissements accrus et à une possible
coopération militaire (Déclaration conjointe Chine-Timor-Leste). En
avril 2025, le président José Ramos Horta a évoqué la possibilité
d’exercices militaires conjoints avec Pékin, précisant qu’ils ne
viseraient aucune entité hostile (ABC News). Cette ouverture, cohérente
avec la stratégie timoraise, n’est pas anodine : le détroit
d’Ombai-Wetar, crucial pour les opérations sous-marines, rend tout
engagement militaire dans la région particulièrement sensible.
Cette
neutralité connaît des écueils. L’Australie, partenaire clé en matière
de sécurité maritime, a promis deux patrouilleurs Guardian-class pour
renforcer la surveillance des eaux timoraises. Prévue pour 2023, puis
repoussée à 2024, la livraison reste en attente. Officiellement, le port
naval de Hera, en travaux, n’est pas prêt, et les infrastructures de
Dili ou Tibar sont inadaptées. Fundasaun Mahein, ONG locale spécialisée
dans la sécurité, conteste cette justification, soulignant que des
progrès significatifs ont été réalisés à Hera et que l’Australie a
réaffirmé son engagement en mars 2024, suggérant que d’autres facteurs
pourraient expliquer ce retard. Les récentes déclarations du président
José Ramos Horta, évoquant une possible coopération militaire avec la
Chine, mettent en lumière une problématique potentielle dans ce
contexte. Ce retard compromet la lutte contre la pêche illégale et la
sécurité maritime, accentuant la dépendance du Timor-Leste envers
d’autres partenaires.
Le détroit d’Ombai-Wetar : un atout stratégique
Le
Timor-Leste doit une part de son importance géopolitique au détroit
d’Ombai-Wetar, un passage maritime clé entre le Pacifique et l’océan
Indien. Avec des profondeurs dépassant plus 3 000 mètres, ce détroit est
un corridor privilégié pour les sous-marins, utilisé par les flottes
américaine et chinoise (F.X. Bonnet) et l’un des plus fréquentés au
monde. Sa proximité fait du Timor-Leste un point stratégique, attirant
l’attention des grandes puissances. Les discussions sur des exercices
militaires avec la Chine prennent une dimension particulière dans ce
contexte, compte tenu de l’importance du détroit pour la surveillance et
les opérations sous-marines.
Un jeu géopolitique risqué
En
jouant sur tous les fronts, le Timor-Leste s’engage dans une stratégie
complexe, particulièrement périlleuse pour un État jeune et de petite
taille. Cette approche, bien que rationnelle pour maximiser les
bénéfices économiques et sécuritaires, expose le pays à des risques
d’influence étrangère. Les puissances extérieures, conscientes des
faiblesses structurelles timoraises – institutions jeunes, corruption
persistante, capacités limitées en renseignement et en protection des
informations sensibles – pourraient chercher à orienter les décisions
internes en leur faveur. Ce n’est pas un hasard si le directeur du
renseignement australien s’est rendu à Dili ces dernières années, signe
de l’attention portée par Canberra aux dynamiques locales. Pour le
Timor-Leste, ce jeu d’équilibriste, s’il est habile, reste dangereux et
un faux pas pourrait compromettre son autonomie.
Perspectives
Le
Timor-Leste incarne la capacité d’un petit État à tirer parti de sa
position stratégique. Sa neutralité, ses projets comme le port de Tibar
et sa proximité avec le détroit d’Ombai-Wetar en font un acteur
important dans l’Indo-Pacifique. Cependant, sa dépendance pétrolière,
ses difficultés à diversifier son économie et ses vulnérabilités
internes limitent sa marge de manœuvre. En équilibrant ses relations
avec la Chine, l’Australie et d’autres partenaires, Dili cherche à
consolider son développement tout en préservant sa souveraineté. La
réussite de cette stratégie dépendra de sa capacité à renforcer ses
institutions et à naviguer avec prudence dans un environnement
géopolitique de plus en plus compétitif.
Hugo Elendil Lapeyronnie est le fondateur d’Ocerex,
une société de conseil et de formation en sécurité, créée en 2024 et
basée en Asie du Sud. Ocerex s’appuie sur l’expertise d’anciens membres
des forces spéciales pour proposer des solutions de sécurité fiables et
performantes. L’entreprise intervient auprès des forces de l’ordre, des
unités militaires et de la protection civile. Bien que spécialisée dans
le domaine maritime, elle propose une large gamme de services : gestion
de crises, audits de sécurité, analyse de menaces, formations
opérationnelles et accompagnement en cybersécurité. Portée par un
savoir-faire français reconnu, Ocerex développe des solutions sur
mesure, adaptées aux besoins spécifiques de ses partenaires.
Sources :
Banque mondiale, Rapport économique 2024
Banque asiatique de développement, Asian Development Outlook 2024
ABC News, 18 avril 2025
Australian Defence Magazine, Guardian Class Patrol Boat Update
Wikipedia, Port de Tibar
Cairn International, Routes sous-marines en Asie du Sud-Est
Fundasaun Mahein, rapports sur la sécurité maritime
Déclaration conjointe Chine-Timor-Leste, septembre 2023
publié par Association France Timor Leste @ 6:37 AM,
Collaborateur
de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur
indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.
Billet de blog
13 juillet 2025
Enfants du silence : Générations sacrifiées (1965–2000)
Entre
1965 et 2000, des millions d’Indonésiens ont grandi dans la peur, le
silence et l’effacement. Accusés, stigmatisés ou orphelins des violences
d’État, ils forment une génération sacrifiée sous l’autoritarisme. De
Sumarsih à Bedjo Untung, leurs combats brisent aujourd’hui l’omerta
imposée au nom de l’unité nationale.
Les enfants du silence : générations sacrifiées entre 1965 et 2000 dans l’Indonésie autoritaire
Entre
l’effacement des mémoires, les interdits de parole et la peur
héréditaire, l’Indonésie autoritaire du dernier tiers du XXe siècle a
sacrifié des générations entières sur l’autel de l’unité nationale et de
la stabilité. Ce sont les enfants des disparus, des exilés, des
torturés — mais aussi ceux des peuples périphériques soumis à une
violence coloniale intérieure. Ces enfants du silence, nés de la terreur
de 1965 ou des guerres oubliées en Papouasie, Aceh et au Timor
oriental, incarnent la fracture refoulée de la République. Pendant près
de quatre décennies, ils ont grandi sans droit à la mémoire, sans droit à
la parole, sous la menace constante de l’étiquette d’ennemi de la
nation. Ce silence imposé n’était pas seulement familial : il était
structurel, idéologique, programmé.
1965 : la naissance d’un traumatisme intergénérationnel
Le
1er octobre 1965, sous prétexte de prévenir un soulèvement communiste,
l’armée indonésienne dirigée par le général Soeharto lance une vaste
purge. Ce qui s’ensuit est l’un des plus grands massacres du XXe siècle :
entre 500 000 et un million de personnes tuées, des centaines de
milliers emprisonnées sans procès, torturées, violées, déportées. Ces
victimes étaient accusées — souvent sans preuve — d’avoir un lien avec
le Parti Communiste Indonésien (PKI).
Mais les morts ne sont pas
les seuls à avoir été frappés : leurs enfants et petits-enfants ont
grandi dans la honte, la peur, l’effacement. Interdits d’université,
exclus de la fonction publique, surveillés par l’appareil sécuritaire,
ils sont devenus une catégorie politique invisible : les enfants du
G30S/PKI. Leur quotidien fut marqué par la stigmatisation sociale,
l’humiliation scolaire, la perte d’identité.
La chercheuse et
militante Soe Tjen Marching a documenté ces existences marquées par la
honte héréditaire et le silence contraint. Dans ses enquêtes, elle
montre comment le trauma de 1965 ne se limite pas aux victimes directes :
il s’étend à toute leur descendance, dans une logique de culpabilité
collective imposée.
La fabrication du silence : école, censure, propagande
Le
régime du Nouvel Ordre (Orde Baru) a imposé un récit unique de
l’histoire nationale, fondé sur la glorification de l’armée et la
diabolisation du communisme. La terreur n’était pas seulement physique :
elle était pédagogique, idéologique. Dès l’école primaire, les enfants
apprenaient une version falsifiée des événements de 1965.
Le film
"Pengkhianatan G30S/PKI", diffusé chaque année en Indonésie, est une
puissante propagande d’État sous Suharto. Il montre les militantes
communistes Gerwani comme des tortionnaires sadiques et immorales,
responsables de violences atroces sur des généraux nationalistes. Ces
images sexistes et dramatisées visaient à diaboliser le communisme et à
justifier les massacres de 1965. Repris dans les écoles, ce film a
instauré une terreur psychologique et un silence collectif sur cette
période sombre, enfermant des générations dans une version officielle
manipulée de l’histoire.
Les enfants de supposés communistes
grandissaient dans la peur de voir leur identité révélée. Dans de
nombreuses familles, les parents interdisaient toute question sur le
passé. Des enfants ignoraient jusqu’au nom réel de leurs grands-parents
ou les raisons de leur disparition. L’État avait non seulement détruit
les corps, mais effacé les mémoires.
L’unité nationale contre la vérité : la troisième sila comme arme idéologique
Le
silence imposé par l’État était souvent justifié par l’idéologie
officielle du Pancasila, en particulier sa troisième sila : "Persatuan
Indonesia" (l’unité de l’Indonésie). Cette unité, au lieu de garantir la
diversité, a été instrumentalisée pour imposer le conformisme politique
et réprimer toute dissidence.
Toute critique du pouvoir, toute
revendication de justice ou de mémoire était accusée de menacer "l’unité
nationale". Ainsi, les familles de disparus, les survivants de 1965,
mais aussi les mouvements d’autodétermination (Papouasie, Aceh) ont été
réprimés au nom de cette "unité". La troisième sila a servi de
justification idéologique à un autoritarisme soutenu par l’armée, où la
paix ne signifiait pas justice, mais silence.
Les enfants de la périphérie : Papouasie, Timor, Aceh
Si
le traumatisme de 1965 a marqué la population javanaise et urbaine, les
régions périphériques ont connu des violences tout aussi destructrices.
À Timor oriental, occupé par l’armée entre 1975 et 1999, des milliers
d’enfants ont été enlevés à leurs familles et transférés à Java.
Beaucoup ont perdu leur langue, leur religion, leur mémoire. Ces enfants
"intégrés" sont devenus des orphelins culturels.
En Papouasie,
les campagnes militaires répétées ont fait des milliers de morts. Les
enfants papous grandissent dans une atmosphère militarisée, avec des
écoles infiltrées par des forces de sécurité, des enseignants
militaires, et une culture nationale imposée qui nie leur identité
mélanésienne. La violence coloniale intérieure est permanente.
En
Aceh, dans les années 1990, la lutte du GAM (Mouvement pour un Aceh
libre) a été réprimée dans le sang. Les enfants assistaient à des scènes
de torture, de viols collectifs, de disparitions. Le souvenir du
conflit reste vivace, et la mémoire familiale — comme pour les victimes
de 1965 — reste souvent murée dans le silence.
Les mères du jeudi : Kamisan, ou la mémoire debout
Face
à l’omerta officielle, des figures civiles se sont levées pour briser
le silence. Depuis 2007, chaque jeudi, des familles de victimes se
rassemblent devant le palais présidentiel à Jakarta pour une action
silencieuse appelée "Aksi Kamisan". Habillées de noir, tenant des
parapluies sombres, elles demandent justice pour leurs proches disparus.
Parmi
elles, Sumarsih, mère de Bernardus Realino Norma Irmawan, tué lors des
manifestations de 1998, incarne la douleur transgénérationnelle. Sa
persévérance hebdomadaire, malgré l’indifférence de l’État, est devenue
un symbole national de dignité.
À ses côtés, Bedjo Untung,
survivant des purges de 1965, milite inlassablement pour la
reconnaissance des crimes de l’État, à travers le "Yayasan Penelitian
Korban Pembunuhan 1965" (YPKP65). Son combat témoigne du lien entre
mémoire, réconciliation et avenir démocratique.
Suciwati, veuve du
défenseur des droits humains Munir Said Thalib, assassiné en 2004,
participe également à ce mouvement. Munir dénonçait les crimes de
l’armée, et son meurtre reste impuni. Suciwati, en luttant pour la
vérité sur la mort de son époux, prolonge le combat pour la justice
structurelle dans un pays encore dominé par les forces de l’impunité.
Héritiers de l’oubli, semeurs de mémoire
Aujourd’hui,
les enfants du silence sont devenus adultes. Beaucoup ont choisi le
chemin de l’art, de la recherche, de l’engagement civique pour briser
les chaînes de l’oubli. Des archives orales, des documentaires, des
récits autobiographiques émergent peu à peu.
Les travaux de Soe
Tjen Marching, sans complaisance ni victimisation, contribuent à
déconstruire la fausse neutralité de l’État et à rendre visible la
pluralité des traumatismes. Il ne s’agit pas de glorifier le passé, mais
de réinscrire la voix des victimes dans l’histoire nationale.
Pour une mémoire libératrice
De
1965 à 2000, l’Indonésie a produit des générations mutilées, non pas
par manque d’éducation, mais par un excès d’idéologie autoritaire. Les
enfants du silence sont les héritiers d’un traumatisme non reconnu,
porteurs d’une mémoire niée. Leur lutte n’est pas tournée vers le passé,
mais vers une démocratie réelle : celle qui reconnaît ses fautes,
répare ses injustices, et respecte la parole des marginalisés.
Car sans mémoire, il n’y a pas de justice. Et sans justice, il n’y a pas de paix.
publié par Association France Timor Leste @ 7:07 AM,
Le président indonésien Prabowo Subianto, 73 ans, s’apprête à
connaître un moment de gloire diplomatique avec sa présence aux côtés
d’Emmanuel Macron lors du défilé du 14 juillet à Paris. Un contingent de
l’armée indonésienne, la TNI, défilera sous les yeux des deux
présidents. Lors de la présentation du défilé, l’Élysée a refusé de
commenter les crimes passés de l’armée indonésienne sous la dictature du
général Suharto, dont Prabowo fut le gendre, et en particulier lors de
l’accession douloureuse à l’indépendance du Timor-Leste en 1999.
Pour la France et Emmanuel Macron, le pari est avant tout stratégique
et industriel. L’Indonésie est en passe de devenir l’un des meilleurs
clients de la France en matière d’armement. L’archipel a passé en
février 2022 une commande de 42 Rafale, et l’acquisition de 12 nouveaux
appareils est envisagée. La livraison des premiers appareils aura lieu
au début de l’année 2026.
Ce rapprochement spectaculaire avec l’Indonésie suit le discours
prononcé à Singapour par le président français le 30 mai 2025 au forum
de sécurité du Shangri-La. La France a aussi signé un partenariat
stratégique avec l’État insulaire.
publié par Association France Timor Leste @ 7:02 AM,
L’Asie-Pacifique va-t-elle devenir le nouveau centre du monde ? Aujourd’hui,
l’Asie-Pacifique produit 60 % du PIB mondial et 66 % de la croissance
mondiale. Cette montée en puissance, loin de se limiter à la Chine,
concerne l’ensemble de la région. Forte de ses atouts – sa position à
la charnière des océans Indien et Pacifique, son savoir-faire dans la
gestion des flux extérieurs, ses compétences, sa force de travail –,
l’Asie-Pacifique teste, ébranle, défie notre positionnement, notre
capacité d’influence et nos prétentions universalistes. Alors que le
modèle américain se fissure et que la guerre gronde aux portes de
l’Europe, l’Asie-Pacifique tisse un maillage dense et actif qui protège
ses membres. C’est d’elle aussi que sont lancées les initiatives les
plus réfléchies pour désoccidentaliser l’ordre mondial et créer
éventuellement un effet d’entraînement dans le « Sud global ». Quelles en seront les conséquences pour l’Europe ? L’Asie-Pacifique deviendra-t-elle le nouveau modèle postoccidental ? Telles sont les questions qu’explore ce livre passionnant et très informé par l’expérience « terrain » de ses auteurs.
Sophie
Boisseau du Rocher est spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Elle a été
maître de conférences à Sciences Po Paris et chercheuse au centre Asie
de l’IFRI (Institut français des relations internationales). Elle est
l’auteur avec Emmanuel Dubois de Prisque de La Chine e(s)t le monde.
Essai sur la sino-mondialisation (Odile Jacob, 2019).
Christian
Lechervy a été ambassadeur en Birmanie (2018-2023) et au Turkménistan
(2006-2010). Il est aussi conseiller auprès du programme Océanie du
centre Asie de l’IFRI. De 2014 à 2018, il a été secrétaire permanent
pour le Pacifique, ambassadeur de France auprès de la Communauté du
Pacifique (CPS) et du Programme régional océanien pour l’environnement
(PROE).
publié par Association France Timor Leste @ 12:00 AM,
Quand le président sénégalais Léopold Sédar Senghor défendait les Papous
En 1976, le chantre de la « négritude » avait offert une
représentation à Dakar aux nationalistes en lutte contre l’autorité
indonésienne. Car pour lui, les peuples mélanésiens étaient inclus dans
le « monde noir » qu’il entendait promouvoir.
Jean-François Berger, ancien délégué du Comité International de la Croix Rouge (CICR), scénariste et écrivain
Question pour un champion: où est Timor? Pas facile de situer cette île perdue sur une carte du monde.
Petit
rappel historique: Timor est situé entre l’Australie et l’Indonésie. Sa
partie orientale, Timor-Est, constitue aujourd’hui l’un des plus jeunes
pays du monde. En 1975, avec l’aval cynique des États-Unis, le
gouvernement indonésien du général Suharto a envahi ce territoire et y a
mené une des plus dures occupations du XXe siècle, faisant suite à
quatre cent cinquante ans de colonisation portugaise. Un référendum
d’autodétermination en 1999 a ouvert la voie à l’indépendance du pays en
2002.
Ayant
travaillé pour le CICR durant les années noires de cette île en forme
de crocodile, j’y séjourne actuellement pour documenter certains aspects
de son histoire mouvementée. Avec un ancien collègue historien, nous
revenons sur les lieux du crime pour retrouver des amis, recueillir des
témoignages et évoquer les disparus.
Il
faut dire que l’action du CICR – quasiment l’unique acteur humanitaire
pendant un quart de siècle d’occupation militaire – a laissé des traces
indélébiles auprès de la population. Des milliers de vies ont été
sauvées, que ce soit dans les centres nutritionnels, dans les prisons et
dans les dispensaires. Les dirigeants actuels du pays le savent bien, à
commencer par le président Jose Ramos Horta et le charismatique premier
ministre Xanana Gusmão, visité durant sa captivité.
Aujourd’hui
apaisé, le pays vit une transition rapide, mélange de réussites et de
dérapages. Il faut saluer le fait que Timor-Est, imprégné de valeurs
chrétiennes, a su entamer le chemin de la réconciliation avec son
puissant voisin indonésien qui lui a fait tant de mal. Dans ce pays le
plus chrétien d’Asie – mais aussi le plus pauvre – la présence de
l’Église est manifeste, tant dans la capitale Dili qu’en zones rurales. A
l’instar des Salésiens, diverses congrégations contribuent à
l’éducation et à la solidarité sociale. La visite du pape François en
septembre prochain devrait stimuler encore davantage la ferveur
religieuse de ce peuple imprégné de traditions animistes.
Sur
le plan économique, le développement des infrastructures est en plein
essor. Cela dit, le défi numéro un a pour nom le pétrole. Son
exploitation en mer de Timor fait encore l’objet d’âpres négociations
avec le voisin australien et ses revenus représentent 80% du PIB, soit
plus de 90% du budget de l’État. Hélas la gestion de cette manne est
source de corruption et de déséquilibre. «Le pétrole, c’est l’excrément
du diable!» dit-on au Venezuela. L’afflux de milliards de dollars se
traduit par des importations massives en nourriture et en biens de
première nécessité, au détriment de la production locale. Résultat des
courses: l’autosuffisance est en berne, l’agriculture à la remorque
tandis que les écarts se creusent entre riches et pauvres. Faute de
diversification économique, de nombreux jeunes quittent leur nation
naissante, guettée par l’épuisement de ses ressources en hydrocarbures.
En
coulisses, certains esprits éclairés de la jeune génération appartenant
à ce que D.H. Lawrence identifiait comme «la seule aristocratie, celle
de la conscience» se réveillent, tel le crocodile, l’animal sacré des
Timorais. D’une nonchalance attentive, ils visent à mettre un frein aux
abus tape-à-l’œil de la logique de l’argent et à favoriser une vision
plus en phase avec les enjeux de la modernité.
publié par Association France Timor Leste @ 5:32 AM,