Timor Leste & Indonésie, de la haine à l'amitié, l'impossible oubli, un point de vue

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Billet de blog 24 juillet 2025

De la haine à l’amitié : Timor-Leste et l’Indonésie, l’impossible oubli

Vingt-cinq ans après la fin de l’occupation indonésienne, Timor-Leste et l’Indonésie surprennent par leur réconciliation : les anciens rivaux Luhut Panjaitan et Xanana Gusmão s’affichent désormais en frères d’armes. Pourtant, crimes impunis, réfugiés encore dispersés et silences religieux rappellent que la justice reste inachevée.

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De la haine à l’amitié : Timor-Leste et l’Indonésie, l’impossible oubli

Paradoxal. Voilà le mot qui résume peut-être le mieux la relation actuelle entre l’Indonésie et son ancien territoire occupé, le Timor-Leste. Vingt-cinq ans après l’indépendance arrachée dans la douleur, le dialogue s’est tissé, la coopération avance, et les anciens ennemis d’hier posent ensemble pour les caméras. Mais dans l’ombre des sourires diplomatiques, la justice attend encore son heure.

L’occupation : des cendres encore chaudes

Entre 1975 et 1999, le Timor-Leste, ancienne colonie portugaise, fut plongé dans un cauchemar sous la botte de l’armée indonésienne. L’invasion de décembre 1975, justifiée alors comme une annexion anti-communiste, a laissé un pays exsangue. Exécutions sommaires, viols, disparitions forcées, famine : entre 183 000 et 200 000 Timorais ont péri durant l’occupation indonésienne, selon le Chega! Report — soit plus d’un quart de la population de l’époque.

Les commandants comme Luhut Binsar Pandjaitan – aujourd’hui figure influente du gouvernement indonésien – furent alors des artisans du contrôle militaire. Face à eux, Xanana Gusmão, chef de la résistance timoraise, devint l’icône d’un peuple enchaîné mais jamais brisé.

De la guerre à l’étreinte diplomatique

Et pourtant. L’histoire parfois invente des retournements que la fiction n’oserait pas. Aujourd’hui, Luhut et Xanana se donnent l’accolade, rient ensemble, posent côte à côte dans des sommets régionaux. Les deux "guerriers", ennemis de jadis, sont devenus les architectes d’un nouveau pont entre leurs nations.

L’Indonésie a soutenu la candidature du Timor-Leste à l’ASEAN, saluant son intégration progressive comme membre observateur. Elle participe aussi à la reconstruction économique du petit pays, notamment par le biais d’infrastructures, d’échanges commerciaux et d’investissements dans l’énergie.

Mais la justice ?

Les plaies, elles, ne se ferment pas toutes. Des milliers de réfugiés timorais, notamment installés au Timor occidental, n’ont jamais pu rentrer. D’autres craignent encore les représailles ou vivent dans des conditions précaires.

Les responsables des crimes de guerre n’ont jamais été jugés en Indonésie. La justice transitionnelle, promise à l’aube de l’indépendance, est restée lettre morte de l’autre côté de la frontière. Jakarta invoque la réconciliation, mais sans reconnaissance pleine ni demande officielle de pardon.

L’Église : silence pesant et foi partagée

Le 9 septembre 2025, le pape François célèbre une messe historique à Dili, capitale du Timor-Leste. Des dizaines de milliers de fidèles affluent, certains venus même d’Indonésie. Des prêtres javanais, des familles de Flores et d’Ambon se recueillent aux côtés des survivants de Suai et des collines de Same. La communion est réelle, bouleversante.

C’est un moment rare où, comme après le génocide au Rwanda, les anciens ennemis prient ensemble. Un "instant Hutu-Tutsi" au parfum d’espoir.

Mais une ombre plane encore : malgré les appels persistants de Mgr Carlos Ximenes Belo, alors évêque de Dili, l’Église catholique d’Indonésie — longtemps silencieuse durant les années sombres de l’occupation — n’a jamais exprimé officiellement de regret. Certains évêques, aujourd’hui retraités, furent complices par leur silence ou leur proximité avec le pouvoir militaire. Cette mémoire ecclésiale, au nom de la vérité, mérite d’être confrontée.

Un héritage linguistique inattendu

Paradoxe encore : les jeunes Timorais d’aujourd’hui parlent plus volontiers indonésien qu’au temps de l’occupation. Le portugais, langue officielle, reste confiné aux élites. Les dramas, les chansons dangdut, les influenceurs TikTok indonésiens ont conquis Dili.

Loin d’effacer les blessures, cette proximité culturelle reflète un phénomène inattendu : l’Indonésie, qui fut jadis la langue de l’oppresseur, devient maintenant celle du divertissement… et parfois du lien.

Entre mémoire et avenir

Le Timor-Leste et l’Indonésie incarnent une relation unique en Asie du Sud-Est : construite sur le sang, traversée par le pardon, mais encore inachevée.

La réconciliation sans justice reste un édifice fragile. Mais si l’on peut prier ensemble, parler la même langue, et bâtir sans oublier, peut-être un jour viendra où le passé ne fera plus peur.


 

publié par Association France Timor Leste @ 6:44 AM,

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