Paru dans la revue littéraire "EUROPE"
Publié le 2014/11/30
Dans la revue EUROPE, nov-déc 2014,
une fiche de lecture de Vincent Metzger est consacrée au "Requiem" de Luis Cardoso.
Vous la trouverez ci-dessous.
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Luis
Cardoso Requiem pour Alain Gerbault
Toulouse Arkuiris 2014
Pour beaucoup sans doute, Timor
Est est une référence déjà historique et Dili un nom vague, qui
évoque peut-être un roman de Conrad. Et celui qui cherche dans ce
livre un guide touristique sera déçu ; Dili est un lieu
investi par le personnage plus que décrit et l'on garde à la
lecture le souvenir d'une Terrasse, d'un hôtel, et d'un port.
C'est que Requiem - dont
les lecteurs d'Europe ont pu lire quelques bonnes feuilles – est un
livre de l'attente ; que faire à Dili au début de la guerre
sinon attendre ? Et comme c'est un port, attendre c'est
regarder la mer ; l'une attend son fiancé parti à la pêche,
certains attendent un bateau portugais, d'autres les japonais, et
Catarina le navigateur, peut-être. Mais cette attente n'est pas une
promenade au phare sans cesse reportée, elle est plutôt la basse
continue de ce roman, le temps long, celui qui met en cohérence les
actions et les personnages. Alors, dans ce cadre, se manifeste une
autre temporalité, celle de l'Histoire en train de se faire, Et le
lecteur est surpris de voir que cette « île au loin »
n'est pas coupée du monde ; la préparation et les débuts de
la seconde guerre s'y manifestent comme en écho : ainsi le
monde vient à Dili, mais sous une forme détournée, parfois
fantomatique, capitaines exilés, ou personnages en dérive, ou
reproduction de figures historiques ; voyez ce bengali, plus
anglais que nature qui chante God save the king devant un espion
britannique et récite du Yeats (un lien entre Irlande et Timor
Leste?), prenez garde aux noms propres, ils sont évocateurs, on
parle d'un Béla Kun ,d'une Dolores Ibarruri, d'un « communiste »
gardien de cimetière . Plus discrète encore, presque secrète,
l'histoire propre de l'île affleure, mais celle ci, il faut partir à
sa recherche ; elle est parfois enfouie dans la terre :ainsi
devant une tombe « ce type est le fameux colonel
Salvaterra...si j'avais su que je venais à la rencontre de
fantômes... » Elle se cache parfois dans les montagnes avec
Malisera « l'insoumis ».
Tout serait en place pour un roman
historique et il est bien là , mais sans cesse décalé, voilé par
une troisième temporalité, celle du récit autobiographique. La
narratrice alors multiplie comme à plaisir les incertitudes et les
associations audacieuses : « la brume et l'ombre planent
encore qur les pierres qui ornent la cime des montagnes ». Et
cette brume plane aussi sur l'identité même de Catarina ;
Chinoise de Batavia, qui parle tétoum, anglais, français selon ses
interlocuteurs , amatrice de Debussy et prête à citer Rimbaud quand
l'occasion se présente, elle est accompagnée d'un double :
quand on parle de Catarina pense-t-on à la belle chinoise, « poupée
de porcelaine », ou au chat de jade qui porte le même nom ?
Et d'ailleurs hommes et chats se confondent souvent, les noms étant
facilement interchangeables jusqu'au quiproquo (voyez Felix le Raz
de marée, chat et/ou amant)
et quand les personnages sont clairement humains, ils sont
insaisissables comme le bandit de la forêt, Malisera : il se
cache bien, celui-ci, et quand on croit l'avoir pris, on ne sait si
c'est bien lui, ou un autre, ou le poète Al' Mutamid ( celui du Fou
d'Elsa remarqueront les lecteurs d' « Europe »),
ou même s'il existe. Et pour Catarina le réel est soumis parfois à
l'imaginaire ; dans une lente séquence nocturne un conte dit
une aventure qui reproduit une scène d'enlèvement réelle, la
confusion est alors telle que l'enfant enlevé prend le nom du
personnage du conte (gageons que Cortazar eût aimé ce livre).
Il faudrait aussi parler d'Alain
Gerbault, encore un fantôme, mais en même temps un personnage,
présent et distant, qui apparaît quand on ne l'attend pas et offre
à la narratrice une dernière mission avant une dernière attente ;
Mais tout cela n'est rien si l'on
ne mesure pas l' effet rythmique de ponctuation que provoquent les
paroles. Il y a peu de longs discours, mais des phrases prononcées ,
itératives qui assurent l'unité des chapitres et s 'installent dans
la mémoire du lecteur, grâce en soit rendue à la traductrice :
du roman à l'épopée s'il est vrai que l'épopée garde le souvenir
de sa source orale.
Vincent Metzger
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Site des éditions Arkuiris : http://www.arkuiris.com/livre.php?id=20
publié par Association France Timor Leste @ 3:26 AM,