16ème Festival International des Films de l'Océanie (FIFO)
Abdul
était José avant d’être enlevé. Il vivait au Timor oriental. Les
Indonésiens l’ont pris quand il avait 9 ans. Il a retrouvé les siens 35
ans plus tard. Mais pour pouvoir être réintégré il lui a fallu vivre une
cérémonie de « renaissance ».
Le film s’ouvre sur un repas. Abdul Rahman, sa femme et ses filles
rompent le jeûne en ce mois de Ramadan. Il est 3h30, la scène se passe à
Kalimantan dans la partie indonésienne de Bornéo. Abdul Rahman est un
homme triste et effacé. Il se cache avec la capuche de son sweat-shirt
car il craint les mauvais esprits. Avec sa famille, il prépare un long
voyage vers le Timor, son pays d’origine.
Valise, aéroport, taxi,
4x4. Le jour balaye la nuit, la famille poursuit son périple. Et puis,
soudain, la portière d’une camionnette s’ouvre et Abdul tombe dans les
bras de son frère. Il retrouve sa fratrie, ses oncles et ses tantes
qu’il n’a pas vu depuis 35 ans, depuis qu’il a été enlevé lors de
l’invasion du Timor oriental par l’armée indonésienne.
En
retournant dans la maison de son enfance et sur les terrains qui lui
servaient d’espace de jeu quand il était petit, il se rappelle. Les
souvenirs affluent, des larmes coulent. « J’avais 6 ou 7 ans, on s’est
mis à courir, on voulait emmener les chèvres et les buffles. Je ne
comprenais rien, j’étais gamin, mais ils ont dit : ‘fuyez, les
Indonésiens arrivent, ils vont vous tuer !’. Alors j’ai fui, on s’est
caché sous ce rocher », poursuit Abdul qui se prénommait alors José. «
J’étais avec une jeune sœur et un frère adoptif, on ne devait pas sortir
parce qu’ils lâchaient des bombes depuis des avions.
Une pierre a
glissé, tuant ma sœur et mon frère. Les adultes restaient cachés,
quelques enfants sortaient parfois pour aller chercher de l’eau. Je suis
sorti une fois et alors j’ai vu les cadavres de mes amis, le sang. On a
fini par quitter nos cachettes, on est partis dans tous les sens et
puis on m’a emmené.» Abdul a été déposé sur un bateau au milieu d’un
stock de munitions et a navigué jusqu’en Indonésie.
Son histoire
est celle de milliers d’autres enfants. « À peu près quatre mille »,
indique Bety Reis, la productrice du documentaire Abdul et José.
Réalisatrice, elle est timoraise et a elle-même été enlevée. « J’ai eu
la chance de retrouver rapidement ma famille », précise-t-elle. Mais le
sujet lui tient à cœur.
L’invasion du Timor oriental a commencé
en décembre 1975 quand les forces armées indonésiennes sont entrées dans
ce pays nouvellement indépendant. L’occupation, violente, a duré 25
ans. Entre 60 000 et 100 000 soldats et civils du Timor oriental ont
trouvé la mort. Les enfants volés ont été, pour la plupart, élevés dans
des orphelinats en Indonésie.
« C’était un moyen d’affaiblir
encore plus le Timor en retirant des forces vives et en brisant
directement les populations. » Ce documentaire lance comme un cri à
l’attention des populations et gouvernements, a été réalisé pour lever
le voile sur ce pan de l’histoire océanienne et pour encourager les
familles à se retrouver. Mais aussi « pour montrer les difficultés à
rapprocher deux modes de vie différents car au Timor les gens sont
catholiques et animistes, en Indonésie ils sont musulmans. »
Pour
réintégrer sa famille, Abdul sa femme et ses filles ont dû participer à
une cérémonie au Timor. Ses proches le croyant mort, des funérailles
avaient été organisées, ils ne pouvaient plus le voir vivant. À l’issue
de cette cérémonie, Abdul a retrouvé sa famille mais aussi sa joie de
vivre et sa confiance en lui. « Avant, j’étais comme un fantôme. » Pour
autant, cela n’efface pas les années de malheurs. Abdul, revenu trop
tard, n’a par exemple jamais revu sa mère.
Abdul et José a déjà
été diffusé à la télévision dans les pays lusophones (il a été financé
en partie par la Communauté des pays de langue portugaise). Selon Bety
Reis, le documentaire n’a pas laissé les spectateurs indifférents. Sa
présentation au FIFO est une étape de plus pour lui. C’est aussi une
nouvelle étape pour le FIFO qui voit là son premier documentaire
timorais.
publié par Association France Timor Leste @ 10:15 AM,