Dans la revue EUROPE


                    


Le Timor est dans la dernière livraison de la revue EUROPE, Janvier-Février 2020,
Notes de lecture,
grâce à un texte de Vincent Metzger qu'il a bien voulu mettre à votre disposition.

Luis Cardoso, L’année où Pigafetta boucla son tour du monde, traduit du portugais (Timor Oriental) par Catherine Dumas, Arkuiris éditions , 2019.


On pourrait entrer dans ce roman par deux portes bien différentes, l’une serait celle du conte, d’un conte presque merveilleux, celui des deux sandales qui se parlent et parlent au lecteur : c’est le plus souvent la gauche qui prend l’initiative, sa compagne, sa sœur se contentant de remarques plus ou moins acerbes. L’une et l’autre sont le truchement qui permet au lecteur de suivre les aventures humaines, puisqu’elles voient et entendent sans se faire entendre elles-mêmes, et elles rappellent leur présence quand on croit qu’elles sont oubliées ; cette entrée s’accompagne d’enfance, de légèreté, de musique et de danse.
On peut entrer aussi par une autre porte, plus imposante et lourde de sens, celle qui se désigne elle-même à la fin du livre comme « mythe » puisqu’avec elle on passe d’une histoire individuelle, celle d’un Pigafetta, compagnon de Magellan (Luis Cardoso, ses lecteurs, et ceux d’Europe  en particulier, le savent, aime bien les navigateurs) dont le voyage fut inachevé et d’un improbable descendant, à l’aventure collective de Timor Leste.
Mais il est possible encore de lire ce roman comme un roman, un roman de formation, qui fait passer une petite fille à l’âge adulte, ou presque, une petite fille pour qui tout commence du jour où elle reçoit de son père des « sandales » achetées à Singapour et beaucoup trop grandes pour elle. Pendant longtemps Carolina est toute perception, elle voit (une photo énigmatique par exemple) elle entend (des conversations nocturnes intrigantes) et ne comprend pas. Elle soupçonne seulement les scènes traumatiques que cette photo, ces conversations évoquent : iI faut absolument lire le monologue d’Isadora (nom en écho explicite à Isadora Duncan) au centre du roman, avec ce qu’il comporte de violence, de honte, dans un tempo maintenu, monologue qui a tenue éveillée la petite Carolina.  Tout, autour d’elle, d’ailleurs, est difficile à comprendre : les êtres présents dont le nom est incertain, « Rayon de lumière » ou « Oncle Américain », Atoi ou Sakunar ? Les êtres absents dont on ne sait s’ils vivent, comme le grand père, le mari d’Aurora, peut-être mort, peut-être encore caché plus ou moins loin. Les choses aussi que la « lampe tempête », acteur essentiel de la maison, éclaire ou laisse dans l’ombre. Pendant longtemps le roman est ainsi fait de questions, de rétrospections et de perceptions énigmatiques.
                Tout change quand Carolina peut chausser les sandales, puisqu’alors elle peut fuir, voir le secret de Pigafetta, parler à sa mère, à sa grand’mère, sans seulement poser des questions ; et les événements semblent alors se produire non plus au passé mais sous les yeux de cette héroïne, venant parfois résoudre brutalement des énigmes anciennes.
                Sans doute faut-il accepter de se perdre parfois, de rester perplexe devant la distance entre les choix politiques et les comportements des individus pris dans une histoire uniformément violente, de confondre les noms et les époques. On se laisse alors guider par la basse continue que produisent des paroles revenant comme des refrains au cours des chapitres, on accueille comme des instants de repos, les commentaires qu’échangent les sandales, soucieuses de leur propre destin et indifférentes à l’Histoire. Et puis il arrive que le roman s’achève, comme le tour du monde de Pigafetta, et c’est « la nuit de la célébration de l’indépendance » de Timor Oriental ; le roman historique est aussi une histoire mais, pour reprendre la formule utilisée par Lukacs dans La théorie du roman, on dirait volontiers que, si le voyage de Pigafetta est bouclé, la route de Carolina qui « se dirige vers la plage », elle, commence vraiment à la fin du livre.

                                                                                              Vincent Metzger  

S'il vous donne envie de découvrir le livre : http://arkuiris.com/livre.php?id=41

Si vous avez envie de l'intégralité de ce numéro de la revue, surtout dédié aux Mille et une nuits, voire même de vous y abonner : https://www.europe-revue.net/

publié par Association France Timor Leste @ 5:47 AM,

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