Dans la revue EUROPE
Publié le 2020/01/07
Le Timor est dans la dernière livraison de la revue EUROPE, Janvier-Février 2020,
Notes de lecture,
grâce à un texte de Vincent Metzger qu'il a bien voulu mettre à votre disposition.
Luis Cardoso, L’année où Pigafetta boucla son tour du monde, traduit du portugais (Timor Oriental) par Catherine Dumas, Arkuiris éditions , 2019.
On pourrait
entrer dans ce roman par deux portes bien différentes, l’une serait celle du
conte, d’un conte presque merveilleux, celui des deux sandales qui se parlent
et parlent au lecteur : c’est le plus souvent la gauche qui prend
l’initiative, sa compagne, sa sœur se contentant de remarques plus ou moins
acerbes. L’une et l’autre sont le truchement qui permet au lecteur de suivre
les aventures humaines, puisqu’elles voient et entendent sans se faire entendre
elles-mêmes, et elles rappellent leur présence quand on croit qu’elles sont
oubliées ; cette entrée s’accompagne d’enfance, de légèreté, de musique et
de danse.
On peut entrer
aussi par une autre porte, plus imposante et lourde de sens, celle qui se
désigne elle-même à la fin du livre comme « mythe » puisqu’avec elle
on passe d’une histoire individuelle, celle d’un Pigafetta, compagnon de
Magellan (Luis Cardoso, ses lecteurs, et ceux d’Europe en particulier, le savent, aime bien les
navigateurs) dont le voyage fut inachevé et d’un improbable descendant, à
l’aventure collective de Timor Leste.
Mais il est
possible encore de lire ce roman comme un roman, un roman de formation, qui
fait passer une petite fille à l’âge adulte, ou presque, une petite fille pour
qui tout commence du jour où elle reçoit de son père des « sandales »
achetées à Singapour et beaucoup trop grandes pour elle. Pendant longtemps
Carolina est toute perception, elle voit (une photo énigmatique par exemple)
elle entend (des conversations nocturnes intrigantes) et ne comprend pas. Elle
soupçonne seulement les scènes traumatiques que cette photo, ces conversations
évoquent : iI faut absolument lire le monologue d’Isadora (nom en écho
explicite à Isadora Duncan) au centre du roman, avec ce qu’il comporte de
violence, de honte, dans un tempo maintenu, monologue qui a tenue éveillée la
petite Carolina. Tout, autour d’elle,
d’ailleurs, est difficile à comprendre : les êtres présents dont le nom
est incertain, « Rayon de lumière » ou « Oncle Américain »,
Atoi ou Sakunar ? Les êtres absents dont on ne sait s’ils vivent, comme le
grand père, le mari d’Aurora, peut-être mort, peut-être encore caché plus ou
moins loin. Les choses aussi que la « lampe tempête », acteur
essentiel de la maison, éclaire ou laisse dans l’ombre. Pendant longtemps le
roman est ainsi fait de questions, de rétrospections et de perceptions
énigmatiques.
Tout
change quand Carolina peut chausser les sandales, puisqu’alors elle peut fuir,
voir le secret de Pigafetta, parler à sa mère, à sa grand’mère, sans seulement
poser des questions ; et les événements semblent alors se produire non
plus au passé mais sous les yeux de cette héroïne, venant parfois résoudre
brutalement des énigmes anciennes.
Sans
doute faut-il accepter de se perdre parfois, de rester perplexe devant la
distance entre les choix politiques et les comportements des individus pris
dans une histoire uniformément violente, de confondre les noms et les époques. On
se laisse alors guider par la basse continue que produisent des paroles
revenant comme des refrains au cours des chapitres, on accueille comme des instants
de repos, les commentaires qu’échangent les sandales, soucieuses de leur propre
destin et indifférentes à l’Histoire. Et puis il arrive que le roman s’achève,
comme le tour du monde de Pigafetta, et c’est « la nuit de la célébration
de l’indépendance » de Timor Oriental ; le roman historique est aussi
une histoire mais, pour reprendre la formule utilisée par Lukacs dans La
théorie du roman, on dirait volontiers que, si le voyage de
Pigafetta est bouclé, la route de Carolina qui « se dirige vers la plage »,
elle, commence vraiment à la fin du livre.
Vincent
Metzger
S'il vous donne envie de découvrir le livre : http://arkuiris.com/livre.php?id=41
Si vous avez envie de l'intégralité de ce numéro de la revue, surtout dédié aux Mille et une nuits, voire même de vous y abonner : https://www.europe-revue.net/
publié par Association France Timor Leste @ 5:47 AM,